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Bataille de Fontenoy

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On se salue, chapeau à la main, avant de s'étriper :
- "Messieurs les Français, tirez les premiers", - "À vous l'honneur !" (un dialogue légendaire dont, selon l'historien F. Bluche, il existe 23 variantes). Tableau d'Édouard Detaille.

La plus célèbre bataille de la Guerre de Succession d'Autriche est Fontenoy (11 mai 1745), que le maréchal de Saxe remporte sur une armée anglo-austro-hollando-hanovrienne commandée par le duc de Cumberland, troisième fils du roi George II.

Fontenoy est un village belge au bord de l'Escaut, à quelques kilomètres de Tournai, ville des Pays-Bas autrichiens (équivalant à peu près à la Belgique actuelle), que l'armée française assiège et au secours de laquelle Cumberland est accouru. L'affrontement entre les deux armées, fortes l'une et l'autre d'environ cinquante mille hommes, se fait en présence (et, au final, avec l'intervention) du roi Louis XV. Le Dauphin Louis, quinze ans et demi, le comte d'Argenson, secrétaire d'État de la Guerre, le prince de Soubise, le duc de Richelieu et même le vieillissant duc de Noailles sont aux côtés du Roi, sous les boulets anglais.

Fontenoy est la dernière grande bataille rangée remportée par la monarchie française. Cette victoire est d'autant plus éclatante que les combats furent acharnés, longtemps indécis, et elle combla l'attente patriotique de tous les peuples de France. Quelques jours après que l'armée de Cumberland a battu en retraite, Tournai capitule, et dans les mois suivants, c'est le tour de Gand, de Bruges, d'Ostende, etc., d'être prises ou de se rendre.

À en croire Napoléon, la victoire de Fontenoy prolongea de trente ans l'Ancien Régime. On peut la voir comme l'apogée de l'absolutisme monarchique... en même temps que son chant du cygne1.

Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Cédant à l'opinion publique2 restée anti-Habsbourg, le cardinal Fleury et Louis XV se sont laissés entraîner dans une guerre de Succession d'Autriche qui a très vite pris une dangereuse ampleur.

John Carteret (1690-1763) contribue fortement, dès sa nomination en 1742 comme Secrétaire d'Etat, au rapprochement entre la Grande-Bretagne de George II et l'Autriche de Marie-Thérèse. Il est présent à Dettingen.

Depuis le 11 février 1742 et le remplacement, aux manettes du pouvoir en Grande-Bretagne, du pacifique Robert Walpole par Lord Carteret, celui-ci, animé de sentiments belliqueux envers la France, oeuvre diplomatiquement pour qu'une grande coalition soit constituée contre elle. Avant même la fin de l'année, les Anglais se rapprochent de la Prusse (traité de Westminster : 18 novembre) et de la Russie (traité de Moscou : 11 décembre).

Une armée austro-anglaise commandée par lord Stair et George II bat (en fait, bouscule) l'armée française de Noailles à Dettingen (27 juin 1743). Suite à quoi est signé à Worms, le 13 septembre 1743 , un traité d'alliance offensive entre la Grande-Bretagne, le Hanovre3, l'Autriche, la Saxe et la Sardaigne (ou royaume de Piémont-Sardaigne) contre la France.

Au Conseil du roi Louis XV, il devient clair que le véritable ennemi de la France est, non pas l'Autriche, mais la Grande-Bretagne. C'est donc à celle-ci que le 15 mars 1744, Louis XV déclare la guerre, et le 26 avril suivant il la déclare également à son alliée la reine de Bohême et Hongrie (puisqu'Angleterre et Autriche font cause commune).

Le terrain d'opérations militaires le plus favorable apparaît être la Flandre (alors province autrichienne), où l'Angleterre est très présente du fait de son alliance déclarée avec l'Autriche et implicite avec la Hollande (ou Provinces-Unies) ; c'est là qu'on peut l'atteindre et la vaincre. De mai à juillet, le roi est à la tête de ses troupes en Flandre, au côté de Maurice de Saxe, maréchal de France depuis le 7 avril ; Courtrai, Menin, Ypres et Furnes tombent entre leurs mains.

En août, il y a l'épisode de sa grave maladie à Metz. En octobre, le siège (7 octobre) et la prise de Fribourg-en-Brisgau (6 novembre). Louis XV rentre à Paris le 13 novembre et y est follement acclamé. Cependant, lui pense de plus en plus à la paix et, le même mois, se choisit un secrétaire d'État aux Affaires Étrangères : le marquis d'Argenson, frère aîné du comte, espérant qu'il saura la négocier. Mais le marquis, un homme aux idées rigides, s'en révèlera incapable.

Le 20 janvier 1745, l'empereur (et prince-électeur de Bavière) Charles VII, pour le soutien duquel la France s'est impliquée dans cette guerre de Succession d'Autriche, meurt à 47 ans ; et son fils, renonçant à revendiquer le trône impérial, négocie la paix avec Marie-Thérèse. La France pourrait profiter de l'occasion pour se rapprocher de celle-ci en appuyant l'élection de son mari François-Etienne au poste d'empereur, mais le marquis d'Argenson, resté hostile à la maison de Habsbourg, ne fait rien pour cela. Et outre-manche, aucune ouverture sérieuse en faveur de la paix ne se dessine.

Le gouvernement français prépare donc la campagne de 1745. Le comte d'Argenson, Saxe et Noailles convainquent le roi de faire une nouvelle fois porter le gros de l'effort de guerre en Flandre, afin d'y battre le plus vite possible les Anglo-Hanovriens et d'obtenir les meilleures conditions de paix.

Prémices et préparatifs de la bataille[modifier | modifier le wikicode]

Maurice, comte de Saxe (1696-1750). Le meilleur des maréchaux de Louis XV.
Le 12 janvier 1747, il sera nommé, comme Turenne avant lui, maréchal général des armées du roi.

Louis XV et Saxe décident que la poursuite de la conquête des Pays-Bas autrichiens (la Belgique actuelle) commencera par Tournai. On massera des troupes à la frontière nord (d'Armentières à Maubeuge), on simulera une attaque sur Mons et Charleroi pour tromper l'armée des alliés (Anglo-Austro-Hollando-Hanovriens) et, en fait, on assiègera Tournai, ville forte défendue par une garnison hollandaise de 9.000 soldats.

Le 25 avril 1745, une avant-garde de 6.000 Français se présente devant les remparts de la ville à la surprise des défenseurs de celle-ci. Le gros des forces de Maurice de Saxe arrive peu de temps après, investit la ville et le siège commence.

William Augustus, duc de Cumberland (1721-1765). Une sorte de soudard, avec pas mal de courage et assez peu de sens tactique. Cependant à Fontenoy, son audacieuse attaque en colonne du centre gauche français fut à deux doigts de réussir.

Tournai étant une ville stratégiquement importante pour les Anglais (elle ouvre la porte vers la Flandre de l'ouest et ses ports vitaux pour le commerce britannique), Cumberland accourt à son secours. Forte de 55.000 hommes, son armée part de Bruxelles le 30 avril. S'étant d'abord dirigée vers Mons, elle n'est pas attendue avant le 9 ou 10 mai à proximité de Tournai.

Louis XV, lui, quitte Versailles le 6 au matin. Le jeune dauphin l'accompagne pour la première fois.
La reine, qui n'a qu'un fils, et la jeune épouse de celui-ci (ils se sont mariés moins de trois mois auparavant) sont en larmes.
Le roi sait qu'une grande bataille se prépare ; lui et son fils veulent en être4.
Ils arrivent le 9 mai devant la ville assiégée et dans l'après-midi inspectent, en compagnie du maréchal de Saxe et de ses seconds, le camp de milliers de tentes blanches. Ils y sont longuement acclamés par les troupes que la venue et participation du roi à la bataille annoncée galvanisent.

Fontenoy est à 7 km au sud-est de Tournai. La bataille dure neuf heures, de 5 heures du matin à 2 heures de l'après-midi. Sur la carte, les Français sont en bleu ; les "alliés" (Anglo-Austro-Hollando-Hanovriens) en rouge. Les carrés verts sont des redoutes (armées de canons) construites par les Français pour renforcer leurs lignes de défense.
La "river Scheldt" in English, c'est l'Escaut en français.

L'armée de Cumberland progressant avec plus de lenteur que prévu, Saxe a le temps de prendre ses dispositions pour l'accueillir au mieux : tandis que 22.000 de ses soldats continueront le siège de Tournai, les 44.000 autres attendront et tenteront d'arrêter l'impétueux duc anglais à 7 km de la ville (donc hors de portée des canons de celle-ci). Comme théâtre des opérations, Saxe a choisi, sur la rive droite de l'Escaut, le village de Fontenoy, avec à sa gauche le bois de Barry, à sa droite le gros bourg d'Antoing adossé à l'Escaut et défendu par les tours de son château, le terrain formant un resserrement en légère montée qui lui semble aussi propice que possible pour stopper et affronter l'ennemi. Saxe dispose son armée en un triangle dont la pointe est Fontenoy, le côté gauche s'appuyant sur le bois de Barry, et le côté droit sur Antoing et son château médiéval. En deux jours, il transforme le village en un impénétrable camp retranché et le truffe de troupes d'élite et de canons, de façon à ce que la pointe de ses lignes (Fontenoy) résiste absolument aux assauts des coalisés. Il place son aile gauche derrière le bois sur quatre lignes : deux d'infanterie, deux de cavalerie ; il fait de même pour son aile droite, de Fontenoy à Antoing. Deux redoutes armées de canons défendent en partie l'espace allant du bois aux retranchement de Fontenoy, et trois autres interdisent le passage entre le village fortifié et Antoing (et au-delà, la rive inondée de l'Escaut en crue). La Maison du roi (l'élite de l'armée) et autres escadrons de carabiniers sont gardés en réserve. Les forces françaises comptent un total de 27.000 fantassins, 15.000 cavaliers et 2.000 artilleurs manœuvrant une bonne centaine de canons.

Ayant franchi, à pied ou à cheval, un bon 70 km depuis Bruxelles, l'armée alliée (29.000 Anglo-Hanovriens et Hessois, 3.000 Autrichiens, 23.000 Hollandais) arrive en début d'après-midi du 10 mai en vue des lignes françaises. En face de celles-ci, elle déploie successivement (depuis le bois de Barry jusqu'au bourg d'Antoing) : les Britanniques, puis les Hanovriens, Hessois et Autrichiens (et c'est le jeune Cumberland, assisté du maréchal autrichien von Königsegg, qui commandera cette aile droite) ; les Hollandais forment l'aile gauche (côté Fontenoy / Antoing) sous les ordres du prince de Waldeck-Pyrmont. Ces troupes sont bien entraînées, disciplinées ; elles ont plus de fantassins que les Français, mais moins de cavaliers et de canons.

Le généralissime anglais Cumberland, 24 ans, plein de courage et de présomption, est fermement décidé à rosser les Français, dégager Tournai et aller jusque Paris : «... ou je mangerai mes bottes ! » jure-t-il. Une bataille rangée - frontale, sanglante, décisive - est inévitable. Demain. Mais la nuit sera brève.

Déroulement de la bataille, ce 11 mai 1745[modifier | modifier le wikicode]

Quatre heures et demie du matin[modifier | modifier le wikicode]

Le jour est encore en pyjama, quand le roi, le dauphin et d'Argenson arrivent à cheval au lieu dit : le Carrefour de la Justice, un croisement de routes où se dressent les potences du bourg d'Antoing. Depuis cette hauteur, on domine toute la plaine de Fontenoy. C'est le quartier général, choisi par Saxe, d'où le roi et ses aides de camp (Noailles, Soubise, Richelieu, etc.) pourront suivre les péripéties de l'affrontement, tandis que le maréchal, dans un cabriolet d'osier5 tiré par quatre chevaux, se déplacera d'un point à l'autre de ses lignes, pour disposer au mieux ses unités en fonction de l'évolution de la bataille.
Le terrain est détrempé et le restera jusqu'au soir. Il ne pleut pas mais la boue sera un des éléments du combat.

Autre plan, beaucoup plus détaillé, de la bataille de Fontenoy. Réalisé par Jean de Beaurain (1696-1771), géographe du roi Louis XV.

Six heures[modifier | modifier le wikicode]

Cinquante canons hollandais se mettent à rugir ensemble et, dans un vacarme assourdissant, crachent le feu, la mort et des nuages de fumée noire. Cumberland a ordonné aux Bataves du prince de Waldeck de prendre Antoing. Le duc de Gramont, neveu de Noailles et colonel des gardes-françaises, est des premières victimes, la cuisse arrachée par un boulet. Le feu ennemi est intense, les pertes sont lourdes, mais l'aile droite française tient bon et ses canons se taisent encore, pour cacher leur position.

Sept heures[modifier | modifier le wikicode]

Cumberland ordonne à Lord Ingoldsby de s'infiltrer avec ses Highlanders dans le bois de Barry. Les montagnards écossais prennent pour plusieurs régiments un corps de troupes légères spécialisé dans la guerre de harcèlement : les « grassins », des arquebusiers à pied et à cheval formés à partir des vagabonds de Paris et autres enfants fourvoyés. Abusés, le lord et ses hommes n'insistent pas et retournent réclamer au duc des renforts en infanterie et artillerie.

Neuf heures[modifier | modifier le wikicode]

Les Hollandais se risquent à avancer vers Antoing. L'artillerie française se déchaîne alors et force l'ennemi à reculer.

Dix heures[modifier | modifier le wikicode]

  • Nouvelle tentative hollandaise et nouvelles canonnade et mitraille française. Les Hollandais reculent à nouveau, découvrant peu à peu que chaque maison d'Antoing avait été, à la demande du comte de Saxe, transformée, les jours précédents, en véritable petite forteresse. Après ce duel d'artillerie perdu, les Bataves, découragés, ne vont plus guère s'impliquer dans la bataille, le prince de Waldeck préférant sans doute garder ses troupes pour défendre la Hollande, au cas où.
  • Dix bataillons de fantassins anglo-hanovriens, appuyés par de la cavalerie, attaquent à trois reprises le village fortifié de Fontenoy, mais sans succès. Seul le Black Watch, un régiment écossais avec ses tambours et cornemuses, parvient jusqu'au profond retranchement rempli de buissons épineux qui protège le village, mais il ne peut le franchir.
  • Devant le peu de succès de ses tentatives précédentes, qu'elles portent sur les ailes ou la pointe du front français, Cumberland, après un bref débat avec l'Autrichien von Königsegg et le Hollandais de Waldeck, modifie sa tactique. Il attaquera au centre, plus exactement entre les défenses de Fontenoy et la plus avancée des redoutes prolongeant le bois de Barry : il y a là un passage de deux ou trois cents mètres sans retranchement. Il réorganise prestement son infanterie en une colonne compacte de quinze mille hommes, pas si loin du carré ou de la phalange macédonienne, mais hérissée de canons qui, tandis que la colonne progresse sur un terrain légèrement montant et boueux, sont tirés à bras d'hommes. Une colonne puissante, terrifiante, conçue pour frapper, tel un bélier, le cœur des lignes françaises et pour s'y enfoncer. Cumberland, l'épée à la main, marche à sa tête, avec à ses côtés Lord Charles Hay et sa compagnie des Guards, suivis de l'ensemble de la colonne, en habits rouges et bonnets bleus, superbe, massive, intrépide.
Autre version de la fameuse "scène du salut" où les commandants respectifs des Guards anglais et des grenadiers français s'invitent cérémonieusement à tirer les premiers. Tableau de Henri Félix Philippoteaux.

Onze heures[modifier | modifier le wikicode]

C'est alors qu'a lieu, au moment du premier vrai contact frontal entre colonne anglo-hanovrienne et lignes françaises, le fameux échange de saluts entre lord Charles Hay, capitaine des Guards et le comte d'Anterroches, lieutenant des grenadiers du roi, où chacun exhorte l'autre à tirer la première salve, donc à une distance encore peu favorable à l'efficacité du feu, s'exposant ainsi, le temps qu'ils rechargent leurs fusils, au mitraillage meurtrier d'un adversaire qui a pu se rapprocher.
Puisqu'Anterroches leur en laisse l'honneur, les Anglais font feu les premiers, un feu roulant où chaque rang, après avoir tiré, s'agenouille pour permettre au suivant de tirer à son tour, le tout parfaitement coordonné, un feu si nourri et dévastateur qu'il tue plus de mille gardes-françaises, ce qui dans ce régiment provoque tout de suite un grand désordre. Cumberland avait repéré et attaque le point faible des lignes françaises, là où Saxe n'a pas cru nécessaire de construire une redoute supplémentaire. Et par sa force de frappe, sa puissance de feu, la colonne anglaise vient d'y ouvrir une brèche funeste. Les soldats anglais, sentant la victoire à portée, jettent toutes leurs forces dans la bataille et avancent toujours, tirant vite et bas, s'exhortant les uns les autres avec de puissants "Hurray!", cherchant à enfoncer les lignes ennemies. Les gardes-françaises se replient pêle-mêle. Fumée noire, cris et clameurs, odeurs de poudre et de sang, roulements de tambours, fusillades, hennissement des chevaux mitraillés à bout portant : la confusion devient générale. Après les gardes-françaises, cinq autres des meilleurs régiments français (des Suisses, d'Aubeterre, de Normandie, de Hainaut et des Vaisseaux) tentent en vain de stopper la progression de la phalange anglo-hanovrienne. Ils sont bousculés, presque laminés. L'infernale colonne semble invincible. Pour les Français, l'affaire tourne mal... dans une scène si obscurcie de fumées qu'il ne fait que demi-jour. Il n'est pourtant pas loin de midi.

Midi[modifier | modifier le wikicode]

Vue d'ensemble de la bataille, alors que l'infernale colonne anglo-hanovrienne s'enfonce au coeur des lignes françaises en son point le moins défendu. Tableau de Louis-Nicolas Van Blarenberghe.

Les boulets ennemis pleuvent autour du monticule depuis lequel Louis XV, entouré du dauphin et de ses aides de camp, suit l'inquiétante évolution des combats. Le roi est calme, plein de sang-froid, mais de grosses gouttes de sueur glissent de son front et ses tempes. Saxe, avec lequel il est resté, directement ou par estafettes, en liaison toute la matinée, l'a par deux fois (via le marquis de Meuse, puis le duc d'Harcourt) prié de se retirer avec le dauphin de l'autre côté de l'Escaut (sur lequel un pont de bateaux bien gardé a été établi). Le roi vient de refuser pour la deuxième fois : « Non, je reste où je suis, je sais qu'il (Saxe) fera le nécessaire ». Son départ du champ de bataille aurait sur le moral de ses troupes un effet déplorable, il en est pleinement conscient.
Le canon anglais laboure encore une fois la terre au pied du souverain, et Noailles à son tour le supplie de passer sur l'autre rive où il sera en sécurité, mais Louis XV reste impavide et le dauphin subit sans broncher son baptême du feu.
Richelieu, revenu à bride abattue d'une pointe poussée jusqu'à Fontenoy pour reconnaître la situation, annonce que les Anglais ont tellement avancé qu'ils sont maintenant tout à fait à portée de l'artillerie française : « Sire, le renforcement de celle-ci et la présence de Votre Majesté peuvent encore rétablir l'affaire et la gagner ». Le maréchal de Saxe en convient : la victoire est toujours possible, mais il faut jeter toutes les forces disponibles dans la bataille.
L'artillerie royale, renforcée de quelques pièces provenant des défenses d'Antoing et qu'on a retournées, se met à tonner de plus belle et en dix minutes ouvre enfin quelques brèches dans la colonne anglaise. C'est le moment de jouer le tout pour le tout et de contre-attaquer.
« Qu'on fasse marcher ma maison ! » s'écrie Louis XV. La maison du Roi est le fleuron de l'armée française, elle est composée des escadrons de cavalerie les mieux entraînés et équipés du royaume. Elle était restée en réserve jusque là.

Treize heures[modifier | modifier le wikicode]

Louis XV contre-attaque au moyen de sa Maison, une cavalerie d'élite, fleuron de l'armée française. Tableau de Pierre Lenfant.

Louis XV lui-même lance la contre-offensive en ordonnant à sa cavalerie d'élite une attaque frontale de la colonne ennemie qui, sous la canonnade française, a desserré et ouvert ses rangs. La maison du Roi, impatiente d'inverser le cours des choses (et de faire mordre la poussière aux soldats de Sa Gracieuse Majesté), s'y engouffre, sabre au clair, furieusement. Les pages du roi attaquent à l'épée, les fantassins à la baïonnette, tandis que les tambours battent la charge et que leurs roulements s'entremêlent avec les cris, les clameurs et les coups de feu. Le corps-à-corps devient féroce.
Entre-temps, Saxe a réorganisé l'action générale, ressaisi les ailes françaises, si bien que la puissante phalange anglo-hanovrienne a aussi à subir sur son flanc droit les assauts d'unités d'infanterie reformées à partir de quatre régiments (de Normandie, du Royal, des Vaisseaux et des Wild Geese irlandais) et sur son flanc gauche ceux de trois autres (de la Couronne, du Roi et d'Aubeterre) qui avaient, eux, à peu près tenu bon. Et toujours, les escadrons de la maison du Roi (grands mousquetaires, chevau-légers, gendarmes de la garde, gardes du corps) commandés par le prince de Soubise, les ducs de Richelieu, d'Harcourt, de Picquigny, épée à la main ou sabre au clair, chargent de front la tête de la colonne anglaise, frappent et tuent, possédés qu'ils sont par la furia francese.

Harcelés de toute part, les Anglo-Hanovriens ont beau tenter de resserrer les rangs, le bel ordonnancement de leur "phalange macédonienne" finit par se désagréger. Aveuglés de sang et de fumée, piétinant dans la boue, désemparés par le carnage, ils n'avancent plus : trop de leurs cadavres jonchent le sol. Ils vacillent, comme foudroyés.
Alors, avant que la défaite ne se transforme en déroute, Cumberland fait sonner la retraite. La victoire française est totale.

Quatorze heures[modifier | modifier le wikicode]

  • Sur les deux heures de l'après-midi, les Anglo-Hanovriens se retirent en bon ordre. Ils ont retrouvé leur cohésion. Saxe ne les fait pas poursuivre par la cavalerie. D'abord, parce qu'elle est épuisée par les assauts multiples qu'elle vient de livrer. Puis, le maréchal français a bien conscience que le contingent hollandais qui a assez peu participé aux combats prendrait fort mal qu'on vienne déranger leur repli vers Bruxelles et les Provinces-Unies.
  • À deux heures et demie, Louis XV rassure la reine (et au delà : Versailles et Paris) d'un billet écrit sur le dos d'un tambour, disant que tout va bien, que les ennemis sont en fuite, que lui et son fils se portent bien. À quoi le dauphin ajoute quelques lignes exprimant sa joie de l'avoir emporté et de ce que : « le Roi s'est montré véritablement roi dans tous les moments, surtout dans celui où la victoire ne paraissait pas devoir pencher de son côté |...| ».
Après la victoire, deux mousquetaires du roi présentent, à Louis XV et à son fils, des drapeaux arrachés à l'ennemi. Tableau de Horace Vernet.
  • Saxe, l'organisateur de la victoire, trouvant la force de quitter son cabriolet d'osier pour enfourcher un cheval, dit à Louis XV qui vient de le féliciter chaleureusement : « Sire, j'ai assez vécu ; je ne souhaitais de vivre aujourd'hui que pour voir Votre Majesté victorieuse ». Et un peu plus tard, il écrira à sa sœur, la princesse de Holstein : « Les Anglais ont été étrillés en chiens courtauds ; l'affaire a duré neuf heures |...| ».
  • Louis XV fait ensuite une tournée triomphale de ses régiments6, et tous crient « Vive le roi ! » dans un enthousiasme indescriptible7.

Plus tard dans l'après-midi[modifier | modifier le wikicode]

Le roi, son fils et ses aides de camp parcourent à cheval le champ de bataille. C'est un spectacle désolant et terrible. Partout, des monceaux de cadavres, des centaines de blessés gémissants ; une forte odeur de mort se mêle à celle de la terre détrempée.
Louis XV dit à son fils : « Voyez ce qu'il en coûte à un bon cœur de remporter des victoires. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire est de l'épargner ». Un propos révélateur de la noblesse d'âme du souverain.

Bilan immédiat[modifier | modifier le wikicode]

  • Les pertes en vies humaines varient beaucoup, en fonction des historiens. Côté coalisés, cela va de 2.500 (selon Alain Tripnaux8) à au moins 9.000 morts (selon Yves Combeau) ; côté français, de 1.737 (selon Jean-François Chiappe) à environ 7.000 (selon François Bluche). En outre, il y aurait plus de 9.000 blessés9 au total des deux camps (le roi ordonna qu'ils soient tous soignés avec la même prévenance). Enfin, J-F. Chiappe parle de 2.000 prisonniers anglo-austro-hanovriens.
  • Les Français s'emparent de 31 canons, de 200 chariots de munitions, etc.

Conséquences[modifier | modifier le wikicode]

Louis XV, apparaissant après Fontenoy en roi de guerre victorieux, comble l'attente patriotique de ses peuples.
  • La nouvelle de la victoire atteint Versailles le 12 mai, et dans la semaine qui suit, une vague d'allégresse et de patriotisme submerge non seulement la capitale, mais toutes les provinces de France. Le 20 mai, un Te Deum10 particulièrement solennel est chanté en la cathédrale Notre-Dame, en présence d'une quarantaine d'évêques et de soixante-dix membres du Parlement (preuve que celui-ci ne respecte que la force). Ce soir-là, du vin est généreusement distribué au peuple dans les rues de Paris, et partout c'est la fête. La joie des Français est à son comble.
  • La ville de Tournai, dont le siège est bien sûr poursuivi, résiste jusqu'au 23 mai avant de capituler ; sa citadelle tient quatre semaines de plus.
  • À la suite d'une audacieuse opération d'escalade menée l'épée à la main, le meilleur second du comte de Saxe : le lieutenant général Woldemar de Lowendal prend Gand le 11 juin ; c'est le principal dépôt des coalisés. Ce même mois, Bruges ouvre ses portes, Audenarde est emportée.
  • Alost, Dendermonde (Termonde en français), Ostende (port où les Anglais débarquent de préférence leurs troupes et ravitaillements et qui était réputé imprenable) tombent ou se rendent durant le mois d'août. Démoralisées, les troupes de Cumberland sont partout battues.
  • Voulant remercier le comte de Saxe d'une campagne militaire si brillamment conduite, le roi lui fait don du magnifique domaine et château de Chambord (25 août 1745), un présent qui, par sa somptuosité, honore également les deux hommes, l'un de l'offrir et l'autre de l'avoir mérité.
  • Quittant Gand le 4 septembre, Louis XV arrive à Paris le 7, auréolé des lauriers de la victoire. Son parcours en carrosse dans les rues pavoisées est triomphal. Puis les cérémonies s'enchaînent... ainsi que les conseils de gouvernement.
Les Pays-Bas autrichiens (Austrian Netherlands) durant la guerre de Succession d'Autriche. Antwerp, c'est Anvers ; Bergen-op-Zoom (ou Berg op Zoom en français) est au centre supérieur de la carte ; Maastricht (ou Maëstricht) est un peu à gauche d'Aix-la-Chapelle ; un peu au-dessus de Maastricht : Lauffeld (ou Lawfeld) ; Roccoux (ou Raucoux) est près de Liège. Enfin, sous le "NE" de "NETHERLANDS", on aperçoit Tournai et juste en-dessous : Fontenoy.
  • Le comte de Saxe achève la série de victoires et conquêtes de l'année (1745) en s'emparant de Nieuport et de Ath. L'armée française a pris le contrôle de la moitié des Pays-Bas autrichiens en moins de quatre mois.
  • La guerre de Succession d'Autriche n'en est pas finie pour autant. Elle connaîtra d'autres rebondissements. Et sur le front nord en Flandre, d'autres victoires (Raucoux : 11 octobre 1746, où les "coalisés" sont lourdement battus ; Lauffeld : 2 juillet 1747), d'autres prises sensationnelles (Bruxelles : 20 février 1746 ; Anvers : 30 mars 1746 ; Berg op Zoom : 18 septembre 1747 ; enfin Maëstricht : 7 mai 1748) obtenues par Saxe, Lowendal et leurs troupes. En revanche, sur mer et outremer, du fait de l'infériorité numérique flagrante de sa flotte, la France, après avoir fait jeu égal avec l'Angleterre (perte de Louisbourg au Canada en juin 1745, mais prise de Madras aux Indes en septembre 1746), essuiera courant 1747 de prévisibles revers maritimes des mains de sa grande rivale (au large de l'Espagne, le 10 mai, au cap Ortegal puis le 25 octobre au cap Finisterre). Il faudra attendre le 11 mai 1748 pour qu'un armistice général soit conclu entre les différents adversaires de ce long conflit, la signature définitive du traité de paix d'Aix-la-Chapelle n'intervenant, elle, que le 18 octobre de cette même année.

Résumé[modifier | modifier le wikicode]

Après la difficile mais importante victoire de Fontenoy (11 mai 1745), remportée sur les coalisés austro-hollando-anglais par Maurice de Saxe en présence de Louis XV, le roi est au summum de son prestige et de sa popularité dans le cœur des Français.

Sources[modifier | modifier le wikicode]

  • Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, Fayard, 1974 (rééd. 1997) ;
  • Michel Antoine, Louis XV, Fayard, 1989.
  • Jean-Christian Petitfils, Louis XV, Perrin - collection tempus, 2018. Source principale pour le déroulement de la bataille.
  • François Bluche, Louis XV, Perrin - collection tempus, 2003 ;
  • Yves Combeau, Louis XV - L'inconnu bien-aimé, Belin, 2012 (rééd. 2016) ;
  • Jean-François Chiappe, Louis XV, Perrin, 1996 ;

Liens externes[modifier | modifier le wikicode]

  • Louis XV, le mal-aimé - Les derniers feux de l'Ancien Régime ; Le Figaro Histoire, n°64 oct.-nov. 2022 : [1]. Y figure, entre autres, l'article de Jean-Pierre Bois : "Ils ont tiré les premiers" , qui décrit assez longuement la victoire de Fontenoy. On y trouve, outre certaines précisions, d'inévitables divergences de détail avec notre version, mais les deux variantes sont proches pour ce qui est du contenu. Voici, par exemple, la fin de la bataille, telle que décrite par J.-P. Bois : « Le front de la colonne enfin, très affaibli par la canonnade initiale, est attaqué par les Carabiniers, les Gendarmes et la Maison du roi magnifiquement conduite par le duc de Richelieu - qui, après la victoire, s'en attribuera le mérite. Collée à son terrain détrempé, trop serrée, la colonne anglaise ne peut même esquisser une retraite. En un instant, les Anglo-Hanovriens perdent des milliers d'hommes. Les survivants se replient. Cumberland se retire à deux heures et abandonne sur le terrain ses morts, ses blessés, ses canons... Dans la nuit, il reprend la route de Mons. Saxe ne poursuit même pas le vaincu. Les pertes ont été lourdes : environ 15 000 hommes tués ou blessés du côté anglais, 5 000 du côté français. Louis XV, parcourant le champ de bataille, en a été ému et ordonne de soigner avec la même attention les blessés des deux armés. »
  • Bataille de Fontenoy (Introduction). Encyclopædia Universalis : https://www.universalis.fr/encyclopedie/bataille-de-fontenoy/
  • Histoire Pour Tous. Bataille de Fontenoy (1745) : https://www.histoire-pour-tous.fr/batailles/3984-la-bataille-de-fontenoy.html
  • The Battle of Fontenoy (description intéressante... pour ceux qui lisent l'anglais) : https://battlefieldanomalies.com/18th-century-battles/fontenoy/

Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. D'après : Jean-Christian Petitfils, Louis XV, Perrin - Collect. tempus, 2018, p.430 à 433.
  2. Opinion publique travaillée et véhiculée à Versailles et Paris par les "philosophes" des Lumières, mais aussi les coteries, les salons, les cafés, les gazettes et autres publications (éventuellement clandestines).
  3. Rappelons que George II est également duc de Brunswick-Lunebourg (ou Hanovre) et donc prince-électeur du Saint-Empire romain germanique. Comme tel, il est à la fois concerné par ce qui se passe au Hanovre et dans le reste du Saint-Empire.
  4. "Non que Louis XV fût belliciste - dans la lettre que nous citons, il parle à deux reprises de la paix à atteindre - , mais il souhaitait exercer son autorité |...| au contact des choses réelles de la guerre et non dans le brouillard des missives, enfin vivre cette guerre, au lieu de la subir" (Yves Combeau, Louis XV l'inconnu bien-aimé, Belin, 2012-2016, p. 106).
  5. ... car il souffre d'hydropisie (un syndrome œdémateux généralisé), mais son esprit est clair, affuté et sa volonté : de fer.
  6. Citons au moins deux régiments qui, durant la bataille, se sont particulièrement distingués (par leur bravoure, leurs faits d'arme, leur dévouement au service du royaume) : le Normandie et les Wild Geese irlandais.
  7. "Le Roi méritait cette liesse, parce que, en ne perdant à aucun moment la maîtrise de lui-même, en refusant de quitter le champ de bataille - alors que son retrait eût pu décourager l'armée et provoquer la débandade - , il avait fortement contribué au succès. C'était l'avis d'un expert indiscutable : « La victoire de Fontenoy, a écrit Napoléon, est due à Louis XV, qui est resté sur le champ de bataille. S'il eût repassé l'Escaut, comme le maréchal de Saxe le voulait, la bataille était perdue. Les boulets arrivaient jusqu'au pont de Calonne. Si le Roi est resté, il en a tout le mérite. »" Michel Antoine, Louis XV, Fayard, 1989, p. 387.
  8. Alain Tripnaux, Fontenoy la bataille - tome 2 : le combat, publié par ASBL le Tricorne, 1995.
  9. Selon le décompte d'Alain Tripnaux, cité par Jean-Christian Petitfils dans son Louis XV (publié en 2018), p. 429.
  10. Entendu d'abord comme un hymne de louange à la gloire de Dieu, le « Te Deum laudamus... » (Dieu, nous te louons) célèbre surtout, au cours des XVII et XVIIIèmes siècles, les hauts faits du roi. On le joue aux grandes occasions, afin d'associer le peuple à la royauté et à sa magnificence.
Article mis en lumière la semaine du 1er mai 2023.
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