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Gueules cassées

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Des blessés dans un hôpital militaire de la Première Guerre mondiale.

Le terme gueules cassées est une désignation prétendument inventée par le colonel Yves Picot en 19211, désignant les soldats mutilés au visage, lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918).

Principalement touchés par les tirs d'artillerie et les mitrailleuses, ils représentèrent près d'1 % des blessés de guerre et jusqu'à 300 000 individus en Europe (dont 15 000 en France)12. Ils constituent le symbole de l'impact psychologique causé par les destructions, affectant le rapport entretenu avec la société et les relations conjugales et faisant l'objet de discriminations de par leur apparence. L'ampleur des blessures constatées mena à une modernisation des techniques de médecine, contribuant en la naissance de la chirurgie maxillofaciale (spécialisée dans les réparations du visage)3, le développement de structures psychologiques et l'étude du syndrome de stress post-traumatique4, et une réorganisation des services médicaux permettant une adaptation à un caractère d'urgence5. Ils inspirèrent de nombreux artistes, qui témoignent un ressenti de douleur à l'égard des victimes6.

Description et conditions[modifier | modifier le wikicode]

Au cours de la guerre, les blessures au visage sont favorisées par l'usage intensif de l'artillerie et la présence continue des soldats dans les tranchées, où ils sont très exposés aux attaques adverses. Les éclats d'obus et les impacts de balles constituent la majorité des blessures faciales, représentant plus de la moitié d'un échantillon7. Sur près de 20 millions de blessés, près de trois millions de Français sont comptabilisés pour plus de 10 000 gueules cassées8. Les blessures faciales représentent un handicap impactant davantage l'esthétique que l'apparence physique, affectant les relations sociales.

La médecine est encore peu développée au début du conflit, les traitements et moyens disponibles étant limités et les connaissances relativement peu fournies. Les chirurgies pratiquées sont réalisées sans antibiotiques, conduisant généralement à des infections pendant ou après l'opération qui peuvent s'avérer mortelles.

Processus et techniques de soins[modifier | modifier le wikicode]

Les blessés sont d'abord traités par les brancardiers, principalement la nuit9, qui assurent les premiers soins. Ils sont ensuite transférés vers un poste de secours, géré par un médecin militaire, qui stabilise la situation du patient10, avant d'être emmenés en direction d'un hôpital situé à l'arrière du front, la destination variant suivant la maladie et l'état de santé du patient11. Le trajet est assuré par une ambulance chirurgicale mobile (surnommée « autochir ») qui transporte les patients depuis le front et pouvant accueillir un grand nombre de blessés. Celle-ci constitue un hôpital de fortune composé de trois voitures contenant le matériel médical ; la première contient les outils de chirurgie, la deuxième est destinée aux opérations radiographiques, et la dernière comprend les prises électriques destinées à permettre les opérations. Le personnel est composé d'une quarantaine de membres, dont une vingtaine d'infirmiers et plusieurs responsables chargés d'effectuer les différentes opérations12.

Des techniques sophistiquées de chirurgie faciale sont utilisées pour traiter les blessés défigurés. La principale techinique employée, dite « indienne » et utilisée par le médecin britannique Harold Gillies, consiste à prélever un bout de côte sur le front, de l'enrouler pour ensuite le placer sur toute l'étendue du visage13. Des greffes sont également réalisées, principalement à partir du bras ou de la cuisse, pour placer les bouts sur les surfaces manquantes. Des appareils sont confectionnés afin de faciliter la mastication et les mouvements d'ouverture de la mâchoire.

De nombreuses gueules cassées furent envoyées dans des institutions psychiatriques, traumatisées par leur expérience passée au front. Les personnes admises ressentaient une nervosité et agitation ponctuées de malaises et d'un manque de réaction. Les symptômes décris, formés notamment de troubles mentaux et d'un état de faiblesse, sont initialement appelés « psychoses et névroses de guerre », plus tard désignés par le terme de syndrome de stress post-traumatique. Les méthodes de traitement utilisées impliquaient de l'isolement et l'usage de produits naturels (naturopathie).

Mobilisation d'après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

Après le conflit, les gueules cassées vivent isolées du reste de la société, leur apparence défigurée provoquant l'effroi et le rejet de la population et de leurs proches. Les années folles naissantes et le développement des activités culturelles cherchent à faire oublier le souvenir de la guerre, et les blessés de guerre n'attirent pas d'attention. De nombreuses gueules cassées perdent leur emploi et logement, et ne bénéficient pas d'idemnité de la part du gouvernement français, qui ne considère pas leurs blessures comme contraignantes14. Dès 1919, à l'initiative des anciens soldats Bienaimé Jourdain et Albert Jugon est fondée une amicale autour des gueules cassées, dont une délégation de cinq représentants sera conviée à la cérémonie de signature du traité de Versailles. Elle devient une association en 1921, sous le nom d'Union des Blessés de la Face et de la Tête (elle-même surnommée les « gueules cassées »), et vise à leur apporter des aides sociales et à faire reconnaître leur situation15. Le colonel Yves Picot en devient le président14. Elle parvient à récolter de nombreux dons dans les années qui suivent, qu'elle renverse au côté d'associations similaires. Ses actions permettent la reconnaissance de la défiguration comme critère d'invalidité, en 1925.

Plusieurs sculpteurs bénévoles et chirurgiens, dont les plus connus sont Anna Coleman Ladd et Suzanne Noël, innoveront dans le domaine de la chirurgie et réaliseront des masques à destination des gueules cassées, afin de gommer les traits de visage défigurés2.

Culture[modifier | modifier le wikicode]

L'imagerie des gueules cassées inspirera plusieurs artistes, dont les peintres allemands George Grosz et Otto Dix, qui représenteront des visages déformés pour symboliser les atrocités de la guerre dont découlent les blessures des gueules cassées1617. En littérature, les gueules cassées sont souvent décrites à partir de leur apparence difforme, et des souffrances qu'elle provoque. L'impression de déshumanisation est également évoquée, à travers la perte de parties du corps18.

« Il n’a plus de nez. À la place, un trou qui saigne, qui saigne…

Avec lui, un autre dont la mâchoire inférieure vient de sauter. Est-il possible qu’une seule balle ait fait cela ? La moitié inférieure du visage n’est plus qu’un morceau de chair rouge, molle, pendante, d’où le sang mêlé à la salive coule en filet visqueux. Et ce visage a deux yeux bleus d’enfant, qui arrêtent sur moi un lourd, un intolérable regard de détresse et de stupeur muette. Cela me bouleverse, pitié aux larmes, tristesse, puis colère démesurée contre ceux qui nous font la guerre, ceux par qui tout ce sang coule, ceux qui massacrent et mutilent.

Et nous voyons des visages dont les yeux seulement apparaissent, fiévreux et inquiets, tout le reste deviné mutilé sous les bandes de toile qui dissimulent ; des visages borgnes, barrés de pansements obliques qui laissent couler le sang le long de la joue et dans les poils de barbe. »

— Sous Verdun (1916), Maurice Genevoix18

Pour compléter[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 et 1,1 Les Gueules cassées, empreinte de la Première guerre mondiale (plkdenoetique.com)
  2. 2,0 et 2,1 11 novembre : ces femmes qui réparaient les 'gueules cassées' | TV5MONDE
  3. La réparation des gueules cassées | Cairn.info
  4. La prise en charge des traumatismes de guerre reste négligée - Sciences et Avenir
  5. 11 novembre 1918 : les 7 innovations médicales qui ont changé notre vie (francetvinfo.fr)
  6. Mutilations de la guerre et détention : cours Tle - Humanités (schoolmouv.fr)
  7. Les nouvelles blessures d'une guerre «moderne» (1914) (lefigaro.fr)
  8. Le calvaire des blessés - 11 novembre 1918 - 2018 (parismatch.com)
  9. Les « gueules cassées » - Les visages défigurés de la Grande Guerre - Herodote.net
  10. Bulletin mensuel de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier | 2002 | Gallica (bnf.fr)
  11. La chirurgie de guerre – BCU 1914-1918 (hypotheses.org)
  12. «L'autochir» ou la naissance de l'hôpital mobile durant la Grande Guerre (1914) (lefigaro.fr)
  13. La Première Guerre Mondiale, une étape décisive pour la chirurgie plastique - Multiesthetique.fr
  14. 14,0 et 14,1 La création de l'Union (gueules-cassees.asso.fr)
  15. "100 ans pour les "Gueules Cassées"" | Chemins de mémoire
  16. Qu’est-ce qu’être humain : Les « gueules cassées » (imagodei.fr)
  17. [pdf] « Les joueurs de Skat » (ac-reunion.fr)
  18. 18,0 et 18,1 Particularités physiques et marginalité dans la littérature - Lazare défiguré : Les représentations littéraires des « gueules cassées » de 14-18 - Presses universitaires de Rennes (openedition.org)

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

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