Le llama est la bête de somme des Cordillères ; c’est avec lui que se font tous les transports, et l’Indien s’en sert pour commercer avec les vallées. Ce gracieux animal est très intéressant à étudier. C’est le seul des animaux que l'homme s’est associé, qu’il n’a pu réussir à avilir. Le llama ne se laisse ni battre ni malmener ; il consent à se rendre utile, mais c’est à condition qu’on l’en prie et non qu’on le lui commande. Ces animaux ne vont jamais qu’en troupes ; elles sont plus ou moins nombreuses et conduites par des Indiens qui marchent à une grande distance en avant des llamas. Si la troupe se sent fatiguée, elle s’arrête, et l’Indien s'arrête aussi. Quand la station se prolonge, l’Indien inquiet, voyant le soleil baisser, se décide, après avoir pris toutes sortes de précautions, à supplier ses bêtes de continuer leur route. Il se met à cinquante ou soixante pas de la troupe, prend une attitude humble, fait de la main un geste des plus caressants à ses llamas, leur adresse des regards tendres, en même temps qu’il crie d’une voix douce et avec une patience que je ne pouvais me lasser d’admirer : ic-ic-ic-ic-ic-ic ; si les llamas sont disposés à se remettre en route, ils suivent l’Indien en bon ordre, d’un pas égal et vont fort vite, leurs jambes étant très longues ; mais, lorsqu’ils sont de mauvaise humeur, ils ne tournent seulement pas la tête du côté de la voix qui les appelle avec tant d’amour et de patience. Ils restent immobiles, serrés les uns contre les autres, tantôt debout, tantôt couchés et regardant le ciel avec des regards si tendres, si mélancoliques, qu’on croirait vraiment que ces étonnantes créatures ont conscience d’une autre vie, d’une phase d’existence meilleure. Leur grand cou, qu’ils portent avec une gracieuse majesté, les longues soies de leur robe toujours propres et brillantes, leurs mouvements souples et craintifs donnent à ces animaux une expression de noblesse et de sensibilité qui commande le respect. Il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque les llamas sont les seuls animaux au service de l’homme que l’on n’ose pas frapper.