Arpitan

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Francoprovençal
Nom d'origine Arpetan
Pays France France
Suisse Suisse
Italie Italie
Nombre de locuteurs 140 000 (1988)
Classification linguistique
Classification par famille - langues indo-européennes
- langues italiques
- langues romanes
- langues gallo-romanes
- francoprovençal
Statut officiel
Exemple
voir modèle • modifier
Répartition de l'arpitan.
Répartition du francoprovençal (en vert), du français et des langues d'oïl (en bleu), et de l'occitan et des langues d'oc (en rouge).

Le francoprovençal, ou arpitan, ou même encore romand (parfois dit patois ou dialecte de façon imprécise), est une langue romane parlée dans l'est de la France (moyenne vallée du Rhône et Savoie), en Suisse romande (Romandie) ainsi que dans le nord-ouest de l'Italie (principalement dans la Vallée d'Aoste). Elle forme, aux côtés des langues d'oc (occitan) et des langues d'oïl, le groupe des langues gallo-romanes.

Dans l'Atlas des langues en danger de l'UNESCO et le rapport sur les langues en voie de disparition du Parlement européen, le francoprovençal est répertorié comme une langue minoritaire gravement menacée.

Francoprovençal ou arpitan ?[modifier | modifier le wikicode]

Puisqu'aucune langue standard forte et indépendante n'a émergé des dialectes francoprovençaux et que leur aire linguistique n'a jamais formé d'unité politique au cours de l'histoire moderne, les locuteurs natifs ne l'appellent pas forcément de la même manière.

Le terme francoprovençal a été inventé en 1873 par le linguiste italien Graziadio-Isaia Ascoli comme expression collective servant à désigner les dialectes gallo-romans qui, selon des critères linguistiques, n'appartiennent ni aux langues d'oïl (alors collectivement désignées sous le terme français) ni aux langues d'oc (alors collectivement désignées sous le terme provençal) mais forment plutôt un troisième groupe linguistique occupant une position intermédiaire entre les deux premiers. Ce nom s'est alors imposé dans la romanistique (philologie, ou étude des langues romanes) mais est peu usité en dehors des cercles académiques et s'est également révélé trompeur puisque le francoprovençal n'est pas directement rattaché aux deux langues qui composent son nom (ce n'est pas un dialecte du français ni du provençal).

Plus récemment, le terme arpitan s'est à son tour imposé, notamment dans la Vallée d'Aoste, tantôt pour désigner uniquement les dialectes des régions alpines tantôt pour désigner l'ensemble du francoprovençal. L'expression est également portée au niveau politique par le mouvement régional Mouvament Arpitania, fondé en 1970 par Joseph Henriet.

Les idiomes locaux sont généralement appelés patois.

Histoire de la langue[modifier | modifier le wikicode]

Depuis la fin de l'Antiquité, le francoprovençal s'est développé pour former une langue romane indépendante à partir de la variété de latin vulgaire (de uulgaris, « populaire, du peuple ») parlée dans l'ouest des Alpes et la vallée du Rhône. Il est controversé parmi les chercheurs d'affirmer que les particularités significatives du francoprovençal par rapport aux autres variétés du latin remontent à l'arrivée des Burgondes en 443 en tant que foederati de l'Empire romain, où ils s'installent et s'intègrent à la population romane en délaissant leur langue germanique. Il semble toutefois que l'aire de répartition de la langue coïncide en grande partie avec l'ancienne zone d'implantation burgonde.

Alors que l'influence du français s'accroît sur la langue parlée en région lyonnaise et dans le Dauphiné dès la fin du Moyen Âge, de nombreux particularismes linguistiques anciens ont été préservés dans les dialectes francoprovençaux des vallées alpines les plus septentrionales et de Suisse romande. Cela s'explique par le fait que le duché de Savoie a réussi à s'affirmer comme une forte puissance régionale au moins jusqu'à l'époque moderne et que les régions romandes de la Confédération suisse étaient plus faiblement exposées à l'influence française.

De nos jours, même dans les régions où la langue francoprovençale a été abandonnée au profit du français, de nombreuses reliques ont survécu et ont été conservées dans la toponymie.

Répartition géographique[modifier | modifier le wikicode]

France[modifier | modifier le wikicode]

Pendant des siècles, le francoprovençal a été la langue du peuple dans une grande partie de l'ancienne région Rhône-Alpes (Beaujolais, Bresse, Bugey, Dauphiné, Dombes, Lyonnais, Savoie) et dans l'extrême sud-est de l'actuelle région Bourgogne-Franche-Comté (départements du Jura et du Doubs, Louhannais en Saône-et-Loire). Cette langue romane a donc été notamment parlée dans la grande ville de Lyon tout au long du Moyen Âge.

Aujourd'hui, en France, la langue et ses différents dialectes ne sont désormais comprises que par les personnes âgées (nées avant la Seconde Guerre mondiale) et, même parmi leur faible nombre de locuteurs, rares sont ceux qui les ont transmises à leur famille. Depuis que la langue française a succédé au latin en tant que langue officielle à Lyon, Genève ou encore à la cour des ducs de Savoie, au début de l'époque moderne, le francoprovençal n'a jamais pu accéder au statut de langue officielle. En outre, contrairement à d'autres langues régionales, il n'y a jamais eu de tentatives de normaliser la prononciation et l'orthographe entre les différentes régions où la langue est parlée. Si, comme toutes les langues régionales du pays, son enseignement a été supprimé lors de la Révolution française, le ministère de l'Éducation nationale n'a jamais consenti à en faire une langue d'enseignement facultative de l'école primaire au lycée (contrairement par exemple au provençal ou au breton).

L'histoire de la littérature francoprovençale débute à la fin du Moyen Âge. Des chants et des contes sont transmis oralement et quelques textes à vocation littéraire sont rédigés dans la langue régionale. Les auteurs les plus célèbres d'expression francoprovençale en France (principalement savoyards) sont Albéric de Pisançon (XIe siècle), Marguerite d'Oingt († 1310), Nicolas Martin (né vers 1570), Bernardin Uchard (1575-1624), Amélie Gex (1835-1883) et Just Songeon (1880-1940).

En 2006, l'une des bandes dessinées des Aventures de Tintin est traduite en francoprovençal, plus précisément dans la variante dialectale parlée dans la Bresse. Il y a encore dans cette région un nombre relativement important de locuteurs passifs qui comprennent au mois le patois (ainsi qu'ils le nomment) à défaut de le parler. Le livre Lé Pèguelyon de la Castafiore (Les Bijoux de la Castafiore), traduit dans leur dialecte par Manuel et Josine Meune, fut accueilli très positivement dans la Bresse et même ailleurs en Rhône-Alpes, ce qui témoigne d'un certain intérêt des jeunes générations pour ce patrimoine linguistique oublié.

Comme partout ailleurs en France, la langue régionale a été supprimée dans les écoles et la vie publique au XIXe siècle (« francisation ») de sorte que, dès le début du siècle suivant, beaucoup considéraient leur patois comme une « langue paysanne » arriérée. Malgré tout, cette langue a laissé de nombreuses traces dans le français régional tel qu'il est parlé actuellement, ce dont beaucoup ne sont pas nécessairement conscients. La traduction de Tintin s'est appuyée sur une orthographe phonétique (graphie de Conflans) basée sur la prononciation française. Une nouvelle édition traduite de Tintin aurait dû paraître en 2007 en arpitan - comme on appelle ici la langue pour souligner son indépendance du français - mais elle ne verra jamais le jour. Une nouvelle orthographe standardisée (Orthographe de référence ORB), développée par le linguiste Dominique Stich, aurait dû y être utilisée dans l'espoir de l'imposer parmi les auteurs de langue arpitane.1

Suisse[modifier | modifier le wikicode]

À l'origine, le francoprovençal, communément appelé patois, était parlé dans presque toute l'actuelle Suisse romande (Romandie). Les seules exceptions notables sont le canton du Jura, le Jura bernois ainsi que la partie la plus septentrionale du canton de Neuchâtel, qui font traditionnellement partie de l'aire linguistique du franc-comtois, une variété de la langue d'oïl.

Dans les documents officiels, la langue est mentionnée une première fois dans la ville de Fribourg, au XIVe siècle, sous le nom de romand. Le dernier texte littéraire écrit en patois fribourgeois est rédigé par Jean-Pierre Python et est paru en 1782.

Néanmoins, tout comme en France, les dialectes francoprovençaux de Suisse ont été presque entièrement supplantés par la langue française, sauf dans certaines régions du canton de Fribourg (Gruyère) et surtout du canton du Valais, où le dialecte local se maintient comme langue vernaculaire (langue d'expression principale) dans le village d'Evolène, où il se transmet même aux enfants.

Du théâtre est représenté chaque année en patois dans les communes de Gruyère, Vivisbach et Saane. Spectateurs et comédiens de la région sont unis par une langue commune d'origine francoprovençale, dans laquelle sont écrits les chants et les drames présentés. Selon les auteurs, ces textes peuvent être plus ou moins traditionnels. L’action, qui se limite à quelques personnes, se déroule généralement en famille. Les comédiens amateurs parlent le patois ou apprennent la prononciation correcte grâce aux autres membres de la troupe. Avec leurs œuvres nouvellement écrites, ces quelques auteurs contemporains contribuent au renouveau du répertoire théâtral en patois. Les premières pièces en patois furent écrites vers 1920 par Cyprien Ruffieux (1859-1940), Fernand Ruffieux (1884-1954), Joseph Yerly (1896-1961), Pierre Quartenoud (1902-1947), l'abbé François-Xavier Brodard (1903-1978), Francis Brodard (né en 1924) et Anne-Marie Yerly (née en 1936). Il s'agissait principalement de petites histoires sur la vie rurale au village et à l'alpage, de légendes ou de comédies musicales, souvent accompagnées de chansons de l'abbé Bovet (1879-1951). Avant la création des associations patoises (entre 1956 et 1984), des clubs de jeunesse, de costumes traditionnels et de chant organisaient les spectacles. À partir de 1936, les troupes de Sâles, Mézières, Le Crêt et Treyvaux assurent l'essor du théâtre patois. À Treyvaux, les Tsêrdziniolè garantissaient la pérennité de la tradition (à la suite de la société de chant et de musique qui fit du théâtre pour la dernière fois en 1959) en montant une pièce tous les trois ou quatre ans. Le style continue d'évoluer et le groupe écrit ses propres pièces. En 1985, le premier opéra folklorique en patois, Le Chèkrè dou tsandèlê, de Nicolas Kolly sur une musique d'Oscar Moret, est joué huit fois à guichets fermés. Le théâtre patois, qui reste très actif dans le canton, ne manque ni de spectateurs ni de jeunes talents. Des thèmes nouveaux mais traditionnels (vie dans les Alpes, montagne, comparaisons ville/campagne, famille), des scènes de village « historiques », des comédies et farces adaptées ou des pièces nouvellement écrites assurent le succès de cet art populaire qui fait partie du patrimoine culturel de Fribourg. Les patoisants sont organisés en clubs – un par quartier – qui se chargent des représentations théâtrales. Son organisation faîtière est la Société cantonale des patoisants fribourgeois, qui assure des tâches de coordination et de promotion mais n'organise aucun événement. Les troupes de théâtre suivantes sont actuellement actives dans le canton : l'association de jeunesse Cerniat (qui écrit et joue ses propres pièces tous les deux ou trois ans), la troupe de théâtre Groupe Choral Intyamon à Albeuve (théâtre et chant), l'association de jeunesse Sorens, les Patoisants de la Sarine, Intrè-No à Fribourg (annuellement), les Patoisants de la Gruyère (annuellement), les Patoisants de la Veveyse (annuellement) et le groupe Tsêrdziniolè à Treyvaux (tous les trois à quatre ans).2

Les variétés suisses du francoprovençal sont documentées lexicographiquement dans le Glossaire des patois de la Suisse romande. En 2019, l'Atlas linguistique audiovisuel numérique du francoprovençal valaisan (ALAVAL) sur les dialectes romans du Valais est publié.3 Depuis le début du XXe siècle, de nombreux dictionnaires traitant des différents dialectes locaux voient le jour, notamment le Dichyonire du patué dë Banye (Bagnes, Valais), paru en 2019.

Le 7 décembre 2018, le Conseil fédéral suisse décide de reconnaître le francoprovençal et le franc-comtois comme langues minoritaires officielles de Suisse.4

Italie[modifier | modifier le wikicode]

En Italie, les dialectes francoprovençaux sont traditionnellement parlés dans la Vallée d'Aoste et dans certaines vallées du Piémont (val de Suse et val Soana, entre autres). Une enclave linguistique (petite zone où l'on parle une langue entièrement entourée par une zone plus grande langue où l'on parle une autre langue, comme une île ou une enclave) se situe par ailleurs entre les communes de Faeto et de Celle di San Vito, dans les Pouilles.

Dans la Vallée d'Aoste, le francoprovençal (« valdôtain ») est toujours la langue maternelle de 70 000 locuteurs5 et ce malgré un long processus d'italianisation. Selon le statut d'autonomie de la région, les langues officielles y sont l'italien et le français.

Les plus anciens fragments de textes rédigés en patois valdôtain remontent au Moyen Âge.

Les auteurs les plus connus d'expression valdôtaine sont Jean-Baptiste Cerlogne (1826-1910), Anaïs Ronc-Désaymonet (1890-1955), Reine Bibois (1894-1976), Eugénie Martinet (1896-1983), René Willien (1916-1976) et Magui Bétemps (1947-2005), chanteuse à succès en patois valdôtain. Le Centre d'études francoprovençales « René-Willien », à Saint-Nicolas, ainsi que le Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique, à Aoste, s'engagent pour la protection de la langue et de la culture valdôtaine. Le BREL entretient une collection de sources audio des dialectes valdôtains avec l'Association valdôtaine des archives sonores. L'Atlas des patois valdôtains est un projet géographique linguistique en cours depuis les années 1960 qui recense la situation linguistique dans chaque commune de la Vallée d'Aoste.

Structure linguistique[modifier | modifier le wikicode]

Il n'existe pas de norme standardisée qui soit officielle pour le francoprovençal. Il n'y a jamais eu de formation étatique correspondant à la totalité de l'aire linguistique, et la langue a toujours été parlée dans plusieurs pays. Les locuteurs des différents dialectes n’ont donc jamais développé une identité commune.

Voici tout de même quelques caractéristiques communes à tous les dialectes :

Phonétique[modifier | modifier le wikicode]

  • Palatalisation de /k/ et /g/ devant /a/, comme dans certains dialectes parlés en Italie ou en ancien français : tsantà (prononcé [tsanne-ta]), "chanter" < cantare en latin ; En savoyard, le francoprovençal parlé en Savoie, France, ce même son est spirantisé : ainsi le latin cantare a donné thantò, [θanto] (le /θ/ se prononce comme le th anglais dans think). De même, le latin vulgaire gallu > gial, "jaune" ;
  • Parmi les voyelles finales du latin, /a/, /i/, /o/, /e/ se maintiennent en fin de mot ;
  • Absence de diphtongue des voyelles latines brèves /ŏ/ et /ĕ/ : latin vulgaire cŏre > cor (mais cuore en italien, cœur en français), pĕde > pe (mais piede en italien, pied en français). Exception si la syllabe suivante se termine par un -i, par exemple : latin hĕri > ici, "hier" ;
  • Rétention, maintien, de la voyelle latine forte /a/ (qui devient /e/ en français) : latin vulgaire pratu > pra (mais pré en français), cane > ca, tha ou tsa (mais chien en français) ;
  • Sonorisation des consonnes occlusives intervocaliques (inter : entre, vocalique : voyelle / entre deux voyelles) : latin rapa > rabò ;
  • Comme en français et en romanche, rétention de la théorie latine Muta cum Liquida en début de mot (pl-, fl-, bl-, cl-, gl-) : latin clave > clau, "clé" (mais chiave en italien, chave en portugais, llave en espagnol).

Morphosyntaxe[modifier | modifier le wikicode]

  • Infinitif raccourci, comme dans de nombreux dialectes italiens (les terminaisons latines -re sont muettes, accent sur la voyelle finale) : tsantà ou thantò, "chanter" ;
  • Sigmatique pluriel (on ajoute un -s au singulier pour former un pluriel) ;
  • Les noms féminins se terminent généralement par -o : latin aqua > aigo, "eau".

Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]

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