Apologue des membres et de l'estomac

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Ce à quoi devaient ressembler les soldats romains du Ve siècle av. J-C

L'apologue Les membres et l'Estomac est tiré d'un épisode de l'histoire romaine dans les premiers temps de la République en 495-494 av. J-C. Les soldats romains d'origine plébéienne avaient quitté Rome, sans autorisation des consuls, pour protester contre le refus des riches patriciens de régler le sort des emprunteurs ne pouvant régler leurs dettes. Rome qui était alors en guerre contre les peuples voisins, se trouve alors dépourvue de défense.

Pour convaincre les soldats révoltés de revenir à Rome, le sénateur Agrippa Menenius Lanatus, envoyé en ambassade auprès d'eux, leur raconta cet apologue. Il explique que dans un organisme complexe, que ce soit le corps humain ou la cité romaine, la solidarité et la complémentarité entre les différentes parties est obligatoire pour que l'organisme continue de vivre. L'histoire est racontée par l'historien latin Tite-Live dans son Histoire romaine (livre II-chapitre 33)

Pour en savoir plus, lis l’article : Première sécession de la plèbe.

Cet apologue se trouve également dans l'œuvre d'Ésope, un poète grec antique (VIIe-VIe siècles av. J-C), sous le nom de l'apologue de l'estomac et les pieds. Au XVIIe siècle, le fabuliste français Jean de La Fontaine en a tiré une fable : Les Membres et l'Estomac, (fables-Livre III-2)

L'apologue[modifier | modifier le wikicode]

L'apologue est un genre littéraire de type argumentatif. C'est un récit court, en prose ou en vers. Son but est de divertir mais aussi de faire réfléchir le lecteur ou l'auditeur. L'apologue donne donc une sorte de leçon morale. Dans un apologue, le contenu (la morale) est plus important que l'art du récit. Contrairement à la fable où l'art de l'auteur a une grande importance).

La brièveté du texte, sans fioriture, permet d'aller à l'essentiel, ne dire que ce qui est utile pour la compréhension du récit. Dans un apologue, sous le sens explicite (ce qu'il met en scène) , le lecteur-auditeur doit rechercher le sens implicite (ce qu'il veut dire). Le but de l'argumentation est de faire évoluer l'opinion du lecteur sur le sujet qui a donné naissance à l'apologue.

L'apologue des pieds et de l'estomac, par Ésope[modifier | modifier le wikicode]

{{"|L'ESTOMAC ET LES PIEDS. L'estomac et les pieds débattaient de leur force respective. A tout propos les pieds prétendaient qu'ils étaient tellement supérieurs en force qu'ils portaient même l'estomac. A quoi celui-ci répondit: «Mais, mes amis, si je ne vous fournissais pas de nourriture, vous-mêmes ne pourriez pas me porter.» Il en va ainsi dans les armées : le nombre, le plus souvent, n'est rien, si les chefs ne sont pas compétents».

Les membres et l'estomac d'après Tite-Live[modifier | modifier le wikicode]

Le texte de Tite-Live raconter le discours (apologue) que Agrippa Menenius Lanatus tient devant les soldats qui se sont retirés sur le Mont sacré en abandonnant Rome.

« Le sénat décida d'envoyer Menenius Agrippa haranguer la plèbe: c'était un homme qui savait parler et il avait les faveurs de la plèbe dont il était issu. Autorisé à entrer dans le camp, il se borna, dit-on, à raconter l'histoire suivante, dans le style heurté de ces temps éloignés. Autrefois le corps humain n'était pas encore solidaire comme aujourd'hui, mais chaque organe était autonome et avait son propre langage ; il y eut un jour une révolte générale : ils étaient tous furieux de travailler et de prendre de la peine pour l'estomac, tandis que l'estomac, bien tranquille au milieu du corps, n'avait qu'à profiter des plaisirs qu'ils lui procuraient. Ils se mirent donc d'accord : la main ne porterait plus la nourriture à la bouche, la bouche refuserait de prendre ce qu'on lui donnerait, les dents de le mâcher . Le but de cette révolte était de mater l'estomac en l'affamant, mais les membres et le corps tout entier furent réduits dans le même temps à une faiblesse extrême. Ils virent alors que l'estomac lui aussi jouait un rôle aussi, qu'il les entretenait comme eux-mêmes l'entretenaient, en renvoyant dans tout l'organisme cette substance produite par la digestion, qui donne vie et vigueur, le sang, qui coule dans nos veines. Par cet apologue, en montrant comment l'émeute des parties du corps ressemblait à la révolte de la plèbe contre les patriciens, il les ramena à la raison ».

La fable de La Fontaine[modifier | modifier le wikicode]

Illustration de la fable par Jean-Baptiste Oudry

Texte de la fable

« Je devais par la royauté

Avoir commencé mon ouvrage :
A la voir d’un certain côté,
Messer Gaster1 en est l’image ;
S’il a quelque besoin, tout le corps s’en ressent.
De travailler pour lui les Membres se lassant,
Chacun résolut de vivre en gentilhomme,
Sans rien faire, alléguant l’exemple de Gaster.
« Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu’il vécût d’air.
Nous suons, nous peinons comme bêtes de somme ;
Et pour qui ? Pour lui seul ; nous n’en profitons pas :
Notre soin n’aboutit qu’à fournir ses repas.
Chômons, c’est un métier qu’il veut nous faire apprendre. »
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les Bras d’agir, les Jambes de marcher :
Tous dirent à Gaster qu’il en 2 allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent.
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur ;
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur ;
Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu’ils croyaient oisif et paresseux
A l’intérêt commun contribuait plus qu’eux.
Ceci peut s’appliquer à la grandeur royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle et réciproquement
Tout tire d’elle l’aliment.
Elle fait subsister l’artisan de ses peines,
Enrichit le marchand, gage le magistrat,
Maintient le laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l’État.
Ménénius le sut bien dire.
La commune 3 s’allait séparer du sénat.
Les mécontents disaient qu’il avait tout l’empire 4
Le pouvoir, les trésors, l’honneur, la dignité ;
Au lieu que tout le mal était de leur côté :
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs était déjà posté,
La plupart s’en allaient chercher une autre terre,
Quand Ménénius leur fit voir
Qu’ils étaient aux Membres semblables,
Et par cet apologue, insigne entre les fables,
Les ramena dans leur devoir."
  1. l'estomac. Adjectif gastrique
  2. de la nourriture
  3. Les gens du commun, c'est-à-dire les plébéiens
  4. les pouvoirs

Dans cette fable La Fontaine justifie la nécessité d'un pouvoir central fort (on est quelques années après la révolte nobiliaire et populaire de la Fronde contre l'l'absolutisme royal alors que Ésope dans son apologue défendait l'idée que l'on a besoin les uns des autres. Tite-Live rapportant les paroles de Menenius Agrippa Lanatus, montre que les différentes classes sociales au lieu de se combattre doivent s'unir, ce qui a permis alors à Rome de triompher de ses ennemis. Mais La Fontaine montre cependant qu'il n'adhère pas totalement à l'idée de la monarchie absolue : les expressions «Je devais d'abord parler de la royauté » et « À la voir d'un certain côté » semblent dénoncer le fait que l'estomac (messire Gaster, qui symbolise la monarchie) est peut être un profiteur du travail des autres.

Sources[modifier | modifier le wikicode]

  • [1] une fiche pédagogique éditée par l'académie de Strasbourg.
Auguste Portail de la Rome antique —  Histoire romaine, langues et civilisations italiotes.
Portail de la littérature —  Tous les écrivains et poètes, romans et romanciers, BD et bédéistes…