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Affaire du chevalier de La Barre

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Statue du chevalier de La Barre, à Paris, détruite en 1941.

Le chevalier François-Jean Lefebvre de La Barre, est né le 12 septembre 1745 au château de Férolles-en-Brie (aujourd'hui en Seine-et-Marne) et est décédé le 1er juillet 1766 à Abbeville. Il a été condamné à être torturé puis décapité et brûlé, par le tribunal d'Abbeville puis par le Parlement de Paris, pour blasphème et sacrilège. Le motif douteux de son arrestation, les procès suspects de partialité menés aussi bien à Abbeville qu'à Paris et l'atrocité de son exécution ont été dénoncés par Voltaire.

L'affaire du chevalier de La Barre est une illustration de l'intolérance liée à la religion et un des premiers combats pour la laïcité en France.

Un jeune noble[modifier | modifier le wikicode]

Le chevalier de La Barre appartenait à une famille noble : son arrière-grand-père avait été gouverneur de la Nouvelle France (au Canada) de 1682 à 1685. Son grand-père avait été lieutenant-général des armées.

François Jean Lefebvre est le fils de Jean Baptiste Alexandre Le Febvre chevalier et seigneur de La Barre et de dame Claude Charlotte La Niepce qui se sont mariés en janvier 1738. Il est très tôt orphelin. Sa mère meurt alors qu'il avait neuf ans, son père quand il en avait dix-sept. Son père avait dilapidé la fortune familiale.

En 1762, avec son frère ils sont envoyés à Abbeville, chez une parente qui était l'abbesse de Willancourt.

Les faits qui sont à l'origine de l'affaire du chevalier de La Barre[modifier | modifier le wikicode]

Le matin du 9 août 1765, deux actes de profanation sont découverts à Abbeville : des entailles à l'arme blanche sur le crucifix du pont d'Abbeville, et un dépôt d'immondices sur une représentation du Christ dans un cimetière d'Abbeville.

Le procureur du roi à la sénéchaussée, Hecquet, alerté par la rumeur publique, se rend sur les lieux et dresse un procès-verbal. Des monitoires sont prononcés dans les églises. Une plainte pour impiété est déposée et une enquête diligentée.

L'évêque d'Amiens, Mr Louis-François-Gabriel d'Orléans de La Motte, préside une cérémonie expiatoire dans laquelle il prononce des paroles désignant les coupables – alors non identifiés – comme s'étant « rendus dignes des derniers supplices en ce monde et des peines éternelles de l'autre ». Toutefois, dans la même cérémonie, il demande à Dieu de leur pardonner ; il interviendra d'ailleurs plus tard auprès du roi dans l'espoir d'obtenir la grâce de La Barre.

L'arrestation de suspects[modifier | modifier le wikicode]

Les soupçons se portent rapidement sur quelques membres de la jeunesse aisée de la ville. Ceux-ci ont défrayé la chronique par leur vie tumultueuse et leurs provocations : le chevalier de La Barre (20 ans), Moisnel, pupille du lieutenant de l'Élection, né en 1749 (ayant alors 15 ans) et Gaillard d'Etallonde, fils du deuxième président de la Cour des Aides, né en 1750 (ayant alors 15 ans). Ces jeunes gens s'étaient fait remarquer auparavant en chantant des chansons se moquant de la religion catholique ; ils se seraient même vantés d'être passés devant la procession du Saint-Sacrement sans se découvrir. D'autres fils de bonne famille avaient participé à ces agissements, parmi eux se trouvait le fils de Pierre-Nicolas Duval de Soicourt, maire d'Abbeville.

Les notables abbevillois mettent leurs fils à l'abri, Gaillard d'Etallonde se réfugie en Prusse. La Barre sans grand appui familial et Moisnel restent à Abbeville.

L’enquête policière et judiciaire est dirigée par M. Duval de Soicour, lieutenant de police et maire d’Abbeville. Une quarantaine de personnes sont entendues. Leurs déclarations sont très vagues et sont souvent des ragots, le plus souvent elles concernent d'autres faits que ceux qui motivent l'enquête. On dénonce en particulier l'attitude irrespectueuse des jeunes gens pendant le passage d'une procession. Aucun témoin ne dit avoir vu faire la mutilation du crucifix. Or selon le système judiciaire de l'époque les témoignages ont valeur de preuve.

La Barre est arrêté le 1er octobre 1765 de même que Moisnel. Ils sont détenus au secret à la prison d'Abbeville. Moisnel reconnait les faits et compromet Saveuse de Belleval (fils du lieutenant de l'Élection) et Douville de Maillefeu (fils de l'ancien maire qui était un adversaire politique du maire Duval de Soicour). Ces derniers prennent la fuite (par la suite ils seront arrêtés). La Barre par contre nie les faits qui lui étaient reprochés. Mais on trouve chez lui un exemplaire du Dictionnaire philosophique œuvre de Voltaire et trois livres licencieux ce qui renforce les soupçons d'impiété.

Le climat politique en France au moment du déclenchement de l'affaire[modifier | modifier le wikicode]

La monarchie absolue contestée[modifier | modifier le wikicode]

La France est alors une monarchie absolue. Mais celle-ci est contestée par les parlements (et en premier lieu celui de Paris) qui sont hostiles à la centralisation mise en place grâce aux intendants. Ils tentent aussi de reprendre leurs droits de contrôler la monarchie. Mais ce sont d'ardents défenseurs des privilèges qui sont attachés à leurs fonctions judiciaires et à la noblesse dont ils font partie. Les philosophes sont aussi des adversaires de l'absolutisme. Certains proposent une monarchie constitutionnelle à l'anglaise, (Montesquieu), d'autres sont partisans du despotisme éclairé (Voltaire), peu nombreux sont les républicains (Rousseau).

L'Église catholique divisée et contestée[modifier | modifier le wikicode]

Le catholicisme est la religion de l'État. Les catholiques de France étaient divisés. Les uns soutenaient les jésuites, principaux partisans de l'influence du pape en France. Les autres, soutenant les jansénistes (adversaires des jésuites), sont nombreux parmi le clergé catholique qui affiche ainsi son esprit d'indépendance vis à vis de la papauté (c'est ce que l'on nomme le gallicanisme). Tous sont cependant les adversaires des philosophes et de l'esprit des Lumières, qui proposent une lecture critique des textes sacrés et sont pour une grande partie d'entre eux des adeptes du théisme1. Ils sont contre la publication de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, qu'ils parviennent à interdire en 1751 (elle sera cependant imprimée clandestinement et diffusée grâce à la bienveillance de certains ministres). En 1764, le Dictionnaire philosophie de Voltaire est condamné par le parlement de Paris.

En 1713, le pape Clément XI a condamné les idées jansénistes. L'interdiction de les professer est mise en place en France seulement en 1730. Cela est une victoire des jésuites. Mais de nombreux membres du parlement de Paris sont jansénistes. Ceux-ci, appuyés par les philosophes, parviennent à faire expulser les jésuites de France en 1763 (à la même époque ils le seront de beaucoup de pays européens).

Procès et condamnation du chevalier de la Barre[modifier | modifier le wikicode]

Le procès se déroule en février 1766. Le 28 février 1766, le chevalier de La Barre est condamné par le tribunal d'Abbeville pour « impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables ». Dans le texte du jugement on peut lire que le chevalier de La Barre était « atteint et convaincu d’avoir passé à vingt-cinq pas d’une procession sans ôter son chapeau qu’il avait sur sa tête, sans se mettre à genoux, d’avoir chanté une chanson impie, d’avoir rendu le respect à des livres infâmes au nombre desquels se trouvait le dictionnaire philosophique du sieur Voltaire. »

Gaillard d'Etallonde jugé est condamné par contumace. Le tribunal ordonne, qu'avant son exécution, La Barre soit torturé en le soumettant à la question ordinaire et à la question extraordinaire.

La Barre fait appel du jugement. Un nouveau procès a donc lieu devant le parlement de Paris (dont dépendait Abbeville). Transféré à Paris, il comparait devant la Grand-Chambre du Parlement de Paris. Il n'a pas le droit d'être assisté par un avocat. Le 4 juin 1766, sur les vingt-cinq magistrats du Parlement, quinze confirment le jugement d'Abbeville. Du fait de son jeune âge, Moisnel n'est condamné qu'à l'amende ordinaire.

Plusieurs personnalités dont l’évêque d'Amiens, interviennent auprès de Louis XV pour qu'il gracie le chevalier de La Barre. Ils s'appuient sur la minceur du dossier d'instruction, l'absence de preuves sur les faits jugés sacrilèges. De plus la sentence était illégale puisque en 1666 Louis XIV avait ordonné que le blasphème ne soit plus puni de mort. Mais Louis XV, qui en 1757 avait refusé la grâce à son agresseur Robert-François Damiens, refuse la grâce.

L'exécution[modifier | modifier le wikicode]

Le chevalier de La Barre est supplicié à Abbeville, le 1er juillet 1766. Le matin il subit la question ordinaire, ses jambes sont enserrées entre des planches de bois et l'on enfonce des fers entre les planches et les genoux pour briser les os (supplice qui était celui des empoisonneurs et des parricides). La Barre après avoir perdu connaissance est réanimé mais déclare ne pas avoir de complice.

Pour qu'il ait assez de force pour monter sur l'échafaud, il n'est pas soumis à la question extraordinaire. Il est conduit sur la Grand-Place d'Abbeville, en charrette, en chemise, la corde au cou. Dans le dos est attachée une pancarte sur laquelle était inscrit « impie, blasphémateur et sacrilège exécrable ». Le courage du condamné est tel qu'on renonce à lui arracher la langue. Il est décapité à la hache (privilège réservé à la noblesse). Son corps est ensuite brûlé ainsi qu'un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire cloué sur sa poitrine. Il avait 20 ans. L'émotion est telle et la crainte de troubles font qu'on renonce à poursuivre les autres accusés.

Voltaire entre en scène[modifier | modifier le wikicode]

Buste de Voltaire par Jean Antoine Houdon. 1778

Pendant l'affaire, Voltaire, alors occupé à défendre Pierre-Paul Sirven ne se manifeste pas ouvertement. Mais Voltaire est directement concerné par les circonstances de l'exécution du chevalier, puisque l'une de ses œuvres est attachée au corps du supplicié afin qu'elle soit brûlée sur la place publique. Dès le 26 juin il commence à se faire entendre. Voltaire parvient à démasquer certaines personnalités d'Abbeville qui, à travers l'affaire du chevalier de La Barre, se livraient à un règlement de compte pour des histoires personnelles. Il met en lumière les mensonges de certains « témoins » trouvés par la justice (le chevalier de La Barre était chez lui, la nuit de la dégradation du crucifix).

Voltaire, sous le pseudonyme de M.Cassen, publie un récit de l'affaire : Relation de la mort du chevalier de La Barre à Monsieur le marquis de Beccaria. Il y montre la disproportion qu'il y a entre la nature des faits, une provocation de jeunes gens si l'on s'en tient à l'affaire de la procession du Saint-Sacrement, et la sentence exceptionnellement sévère et par ailleurs illégale. Il dénonce les conditions atroces de l'exécution.

À la suite de l'intervention de Voltaire le tribunal d'Abbeville arrête les poursuites contre les autres accusés. Moisnel est libéré. Le maire Duval de Soicourt est démis de ses fonctions.

En 1769, dans une nouvelle édition du Dictionnaire philosophique, dans un complément à l'article consacré à la torture Voltaire revient sur l'affaire. Il y dénonce la barbarie des pratiques judiciaires de son temps, comme la « question » destinée à arracher les aveux.

Grâce à ses relations importantes en Europe, Voltaire parvient à assurer la sûreté de Gaillard d’Etallonde, un des condamnés en fuite, qu'il fit entrer dans l'armée prussienne. En 1775, sous la signature de Gaillard, réfugié auprès de Voltaire à Ferney, paraît Le Cri du sang innocent (dont Voltaire est probablement l'auteur). Il espérait ainsi obtenir du nouveau roi Louis XVI la grâce du condamné, ce fut en vain.

La réhabilitation du chevalier de La Barre[modifier | modifier le wikicode]

Il est certain, que la condamnation du chevalier de La Barre s'appuyait sur une interprétation illégale des textes judiciaires. Elle montrait la volonté des juges d'Abbeville et du Parlement de Paris de faire un exemple. Pour eux il fallait lutter contre l'influence, qu'ils jugeaient nuisible, des philosophes.

Le chevalier de La Barre fut réhabilité par la Convention le 15 novembre 1793 (25 brumaire an II).

Pour compléter sur la lutte contre l'intolérance au XVIII siècle[modifier | modifier le wikicode]

Précision[modifier | modifier le wikicode]

  1. Croyance en un dieu créateur de l'Univers, mais qui sont hostiles à l'existence d'un clergé.

Source[modifier | modifier le wikicode]

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